samedi 8 mars 2014

Où on comprend que je n'aime pas Fleurus.





Aujourd'hui c'est la journée des droits de la femme, et je vois tellement de pubs visant à faire consommer des fringues, des chaussures et du maquillage - parce que si ça semble être ça le droit de la femme aujourd'hui, sois belle et parle pas trop fort - alors, cet article tombe comme une cerise sur le cupcake girly.


Ok ok ok, on aime les livres, on aime travailler à Cultura l'esprit débile, on aime le rayon jeunesse et plus précisément, on ai-me... Fleurus !

Fleurus et son « moi j'ai compris que j'édite pour les petits garçons et pour les petites filles.
Attention, quand je dis ça, comprenez-moi bien.
J'édite
Pour les petits garçons
Et
Pour les petites filles.

Action.

Les petits garçons et les petites filles.
Shame, shame, shame on me, quand on me dit « je suis invitée à un anniversaire et je dois apporter un cadeau pour le nain de la maison/la poupée en jupette, qu'est-ce que vous me conseillez?", je dégaine le livre à toucher Usborne, le livre sonore Gallimard et « c'est un garçon ou une fille ? » la collection petit garçon petite fille. Et précisant « Voilà c'est très fille » ou « c'est très genré ». Mais je le propose. Mettant en avant le graphisme poupée rond et coloré, ou le « les engins, c'est une valeur sûre ».
Parfois j'ai le bonheur de voir mon interlocuteur froncer le nez, en disant « euh oui non » - variante : « mon mari va râler et péter une pile si je ramène ça » (monsieur je ne vous connais pas mais sachez que je vous aime). Mais souvent, on me dit « oooh oui, c'est chouette ! » - la raison numéro une pour laquelle je le propose, me maudissant généralement pour mon manque d'intégrité et ma tendance à aller au plus facile quand je suis fatiguée par les clients.



Mon rêve de maman. Mon rêve de princesse. Mon rêve d'actrice. Mon rêve de top model. 
Je veux dire, par contre, à quel moment une gamine de 14 mois à 3 ans déclare que c'est vraiment top fun de jouer/devenir (à la) secrétaire ? En tous cas du temps où j'étais môme, secrétaire n'était dans aucune wishlist d'avenir de mes copines. Moi je voulais être maîtresse, comme maman. Mais secrétaire ? Faire des photocopies, le café du patron et se faire reluquer les fesses quand on ramasse les dossiers ? On me dira qu'un enfant ne perçoit pas le métier de secrétaire comme ça, mais j'aimerais savoir ce qui peut faire fantasmer dans ce boulot (quand on doit être soi-même la secrétaire, pas quand on doit en avoir une, suivez un peu).
Bon, il y a aussi mon rêve de vétérinaire, d'accord, d'accord. Mais quand même.

C'est bien Ninon ma chérie, je suis
sûre que tes parents sont fiers de toi.


Du côté des ptits mecs, voiture, fusée, bateau, avion. Ce n'est pas si grave (si on excepte les rimes franchement lamentables avec les prénoms, mais bon, la littérature jeunesse reste dans le simple et efficace, puisque ça marche. Pipi caca, ah ah.) Mais bref, ça reste gen-ré. Et je suis fatiguée de devoir répéter aux parents que non, les dragons ce n'est pas pour les garçons et que oui, les petits garçons peuvent surkiffer un documentaire sur les bébés animaux.

Un best seller de mon rayon.
A pleurer j'vous dis !


Bon, on laisse les petits et on s'intéresse à ce que j'ai reçu par pile de 25 pour Noël :  le dico des filles.
(et j'aime autant vous dire que vu le poids du machin, ça m'a un peu gavée de devoir lui trouver une place volante sur le plot fille.)

D'après vous, quiiii va me lire ?

Coucou, je suis un joli livre bling bling rouge framboise avec des paillettes qui brillent, des perles, des pétales de roses et un papillon, je suis pour les fiiiilles !
A noter que les trois mots sur la couverture (à part le titre) sont : « beauté, respect, mode ». Dans cet ordre. On voit le niveau. C'est bien d'essayer d'intercaler le respect entre la beauté et la mode, mais ça pue quand même la superficialité à plein nez, sur base de « je suis superficielle mais respecte-moi comme je suis, nan mais oh ! ». Ouais. Mais non.
Déjà donc, on a un peu envie de criser quand on voit la dégaine du bouquin (qui en plus est une véritable agression visuelle). Mais quand on le lit, c'est pire. Et je ne parle pas de l'aspect nunuche et consumériste qui se dégage presque à chaque page, tant et si bien qu'on a l'impression de lire de la presse féminine.

Je donne la vie sésibo, merci mon Dieu.
On reste dans une lignée de pensée très patriarcale et judéochrétine. Ainsi à propos de l'avortement, il est doctement précisé : « Si la loi permet cet acte, elle ne le rend pour autant pas juste ou moral ».
Quoi quoi quoi. QUOI ! Moral ? Juste ? De quel droit des mots pareils, des concepts partiaux pareils, viennent-ils parasiter une définition ? Qui décide de ce qui est moral ou juste ? Papa, maman, dieu ou Fleurus ?
"On peut comprendre l'utilité de cette loi tout en réprouvant l'avortement parce qu'il porte atteinte à la vie humaine"
Merci Fleurus, on avait compris que les auteurs se tapaient toutes les Manif pour tous, point n'était besoin d'en retartiner une couche. Mais cette loi n'a pas à être morale, puisque la morale en temps que code de conduite à notre époque ne s'appuie en théorie plus sur des concepts de bien et de mal (j'insiste en clignotant : judéo chrétien). Bref, après tout, c'est le propre de la justice d'être polymorphe. Si c'est légal, on peut donc partir du principe que c'est moral, sauf si individuellement, on est contre – ce qu'on peut être, bien sûr. Mais en ce cas, on est prié de ne pas l'insérer dans un dictionnaire. Quand à savoir si c'est juste : On dispose de son propre corps, oui, c'est juste. Nier les droits d'humains capables de choix et qui doivent assumer au détriment de vies futures (disons, loin d'être abouties), ça, ce n'est pas juste. Et ce n'est pas essayer de culpabiliser préventivement qui résoudra ce grave problème, surtout quand à aucun moment on aborde les raisons qui font qu'on peut faire ce choix. Encore une fois, c'est partiel et partial. Si ce qui était juste pouvait être dissocié du contexte et du cas par cas, on ne serait plus en train, au XXIe siècle, de se demander ce qui est juste ou pas. Une fois de plus donc, on garde ses théories scabreuses pour soi.

D'ailleurs, à propos de la religion, les articles concernant Dieu et la foi se cantonnent au christianisme. Moui. En même temps, l'orientation de Fleurus est catho, rien de neuf sous le soleil. On s'en serait douté à voir le ton de l'ouvrage.

Fifilles un jour, fifilles toujours
"En moyenne, vous devez prendre 20 cm et 20 kg pendant toute votre adolescence. C'est ce qui vous donnera des allures et des formes de femme. […] Envolée la petite fille filliforme! Mais rassurez-vous: les garçons a-do-rent ça!!!"
Déjà vas-y que je te norme d'office, mode complexes à la clé ON. Mais bah si les garçons se branlent en pensant à nos seins tout neufs ! Vous je ne sais pas, mais moi ça me rassure !
… Allez mes jolies, ravalez vos complexes, vous pouvez à présent être du bétail à plaire, de la chair à consommer. Quelle importance peut avoir un mal être, du moment que certains y trouvent leur compte ? Et on ne parle pas d'autre chose que de la rondeur de vot' cul (pas trop gros quand même!) ou de vos seins (ça on peut y aller).
D'ailleurs :
" Vous ne pouvez pas vous empêcher d’être une fille, de réagir comme une fille, de vous comporter comme une fille… notamment en présence des garçons."

Carte blanche donc pour glousser, se pavaner, mettre du gloss en pouffant telle une hyène moyenne, bref, en un mot comme en cent, se comporter comme la niaise de base. Avec un guide pareil, il ne faudra pas s'étonner que ce soit le cas si ça arrive, c'est sûr et certain.
Et ensuite, dix ans plus tard, ce sont les mêmes DINDES qui vont venir acheter La femme parfaite est une connasse. Quelque part, on fidélise la clientèle.

L'autre sexe. Mais si, celui qui est long et qui rentre dans les vagins.
"On peut avoir envie de caresses sans forcément vouloir aller plus loin. L’important, c’est de le savoir et de le dire, mais aussi de ne pas laisser le garçon s’embarquer trop loin dans le désir pour dire "stop" au dernier moment. Un garçon ne fonctionne pas comme une fille et il ne comprendra pas forcément que vous passiez des heures à vous laisser cajoler sur un lit si ce n’est pas pour avoir une relation sexuelle." 

Oui, si, on a le droit de dire stop au dernier moment. Inutile d'essayer de faire de la culpabilisation sur base de « quand même, tu l'as chauffé, maintenant, assume ». C'est tellement slutshaming que ça me dégoûte de pousser le cynisme plus loin. Mon mec me faisait remarquer que c'était encore très judéo chrétien comme approche : tu es la femme, le sexe faible et tentateur. Mais alors, assume. Poussant ainsi la fille dans le système de pensée patriarcale : la femme comme soumise et inféodée au désir de l'homme, tout en étant par définition la tentatrice, l'Eve originelle.

D'un autre côté, même si tu te penses homo ma fille, réfléchis bien. Tu ne souffres sans doute pas de ce mal déviant et contre-nature : tu as juste peur de l'homme – bon sang mais c'est bien sûr, pourquoi tous les LBGT n'y ont pas pensé avant.
« "A votre âge, il arrive qu’on vive des relations si intenses avec des amies (surtout sa meilleure amie) que l’on peut se croire homosexuelle. On pense qu’on ne pourra jamais aimer autant que cela un garçon, jamais se comprendre aussi bien qu’entre filles. Ce peut être simplement que les garçons vous font un peu peur parce qu’ils sont trop différents, trop incompréhensibles. Vous avez aussi peut être un peu peur de vous-même, de l’intensité de désirs nouveaux qui surgissent en vous face auxquels vous ne savez pas comment réagir. Alors vous vous sentez plus en sécurité avec des filles parce qu’elles vous ressemblent et que vous pouvez partager avec elles vos sentiments et vos interrogations."

Bref, ne t'inquiète pas, tu es faire pour te faire tringler et pondre des bébés, souffle un coup et laisse Jean Charles te sauter le soir du bal de la promo parce qu'au fond de toi tu sais que tu en meurs d'envie (surtout si tu l'as chauffé avant, sale petite allumeuse!)
De toute façon, dans une précédente édition (2010), il était précisé que le PACS n'était pas comme le mariage, ce dernier ayant comme but de fonder une famille. Et que d'ailleurs, les homos savaient que leur orientation serait difficile pour eux : ils ne pourraient « pas avoir d'enfant avec une personne du même sexe » (biologiquement, certes... mais on va au delà de ça, même en 2010) ni « fonder une famille ».
Attendez... je boucle ma valise... Là ! Moyen Âge, nous voilà !

Fraternité, Égalité et réconciliation (pardon)
"Ne rien faire pour favoriser l’égalité, c’est maintenir les inégalités de naissance. Mais l’imposer coûte que coûte, c’est prendre le risque de ruer tout dynamisme, toute créativité. A quoi bon se donner du mal pour développer ses talents, si l’on n’en tire aucun bénéfice?" 

Je... ah. Oui, bien sûr, suis-je bête. Mais dites-moi, je vois bien que vous avez une façon de présenter la chose très sournoise : vous admettez qu'il faut être pour l'égalité des sexes, pour l'égalité des droits et des chances parce-qu'on-est-en-2014, mais quand même, pas trop ! Certains doivent être plus égaux que d'autres, afin qu'il y ait un peu de fun dans le jeu. Hein, sinon, quel intérêt ? Il vaut mieux ne pas imposer l'égalité coûte que coûte, pour que les nantis (intelligence, argent, pouvoir) ne soient pas dégoûtés de jouer. Ah, mais en fait, vous n'êtes pas pour l'égalité, quoi, c'est bien le concept de méritocratie que je vois planer au dessus de tout ça. C'est bien ce qu'il m'avait semblé comprendre.
Par contre je persiste et signe, ce n'est pas le rôle d'un dictionnaire pour ado de lister des questionnements éthiques, surtout sans approfondir ni même être précis concernant le concept d'égalité. Et surtout quand lesdits questionnements s'avèrent être quelque peu plus complexes que « bon bah les inégalités c'est mal mais l'égalité à tout prix s'pas top ». Merci. Mais encore ? On me dira qu'on ne mâche pas le travail à nos jeunes : on leur donne la problématique, ils réfléchissent. Sauf que moi, ce que je vois, c'est un ordre de pensée : on énonce un fait, puis on le contrebalance (sans argumentation réelle). Restant donc sur la position numéro deux, qui est... ohhh, comme je suis surprise ! Ne pas imposer coûte que coûte l'égalité !

Ton corps est sale, femme.
Les règles sont par exemple sont un sujet tabou ; après avoir mentionné des pays où les preuves de la fécondité de la jeune fille sont accueillies à bras ouvert, on précise pudiquement : « chez nous, on est beaucoup plus discret, souvent on n’en parle pas, et surtout pas à ses frères ou à son père »

Ma foi, on se croirait dans un épisode de Downtown abbey. « Lady Sybil vient de perdre les eaux » annonce le médecin. Grantham père blanchit et esquisse un moment empreint de répulsion et de gêne – nous sommes dans les années 1900. « Docteur, ce n'est pas la peine de préciser ce genre de choses devant Monsieur » glisse élégamment la brune Cora au médecin, qui a eu le culot de parler de ces choses ténébreuses et féminines constituant le fait de donner la vie (et des héritiers, crétin!) devant un homme. Boudiou, mais qu'arrive t-il à ce monde, qu'on se mette à parler de menstrues à des mecs, j'vous jure !
Ou alors c'est parce que je n'ai jamais eu de problème à raconter mes problèmes de cystites et de mycoses à mon père que ça ne me choque pas, je ne sais pas. C'est la nature, braves gens. On ne parle pas du voisin qu'on croise entre deux portes, on parle du père et des frères.

Allo ? Je... de quoi ? Comment ça les femmes font aussi caca ?
Vous vous foutez de moi là, ou bien ?

Concernant d'autres sujets, comme la pilosité par exemple, on reste classique :
"En France, l’usage veut qu’on s’épile. Les gens seraient choqués de vous voir avec des poils sous les aisselles: c’est supposé être très laid. En fait, cela peut donner l’impression qu’une femme ne prend pas soin d’elle ou pire, qu’elle est sale. »

Bon, si vous comptiez changer vos usages (après tout, on y a droit, ce n'est même pas une anti-poil comme moi qui vais dire le contraire), après ce genre de semonce dont on ne sait si elle est du lard ou du cochon, vous en voilà guéri. Même si d'aventure ce n'est pas ce que pensent les auteurs, on retrouve tous les clichés bien concons liés à la non-épilation, ce qui fait que le message de base passe. 

Je passe sur les informations un peu discutables, comme l'hépatite B qui se transmettrait par la salive (wadafuck ? Vous faites vos recherches sur Doctissimo ou bien ?), le mariage avant 18 ans qui émanciperait (non, à ce jour en 2014 on ne se marie pas avant 18 ans, et ce depuis 2006)), ou le cancer du col de l'utérus qui affecterait potentiellement les filles dès la puberté et les premiers rapports sexuels (il faut attendre plusieurs années avant que les cellules cancéreuses se développent, donc du coup : non).

Bref, un bon gros ramassis de nullités sans intérêt, voire nocives. Heureusement, ce bouquin est somme toute assez cher, et j'ai le plaisir d'annoncer qu'il s'est très mal vendu - en tous cas chez moi – à Noël dernier. Il faut dire que je l'avais sciemment mis en face froide , caché derrière les coffrets de cuisine Hello Kitty et les kits d'origami.

Un petit dernier pour la route. Et big kiss à mon pote Éric avec qui c'est toujours un plaisir de s'insurger contre Fleurus&con-sort ainsi que causer féminisme, Mafalda et homosexualité au boulot.

Et voui et voui. 

Assez de trucs qui fâchent. Mon coup de cœur du moment, celui qui m'a fait stopper ma mise en rayon, poser la moitié du cul sur une table et lire les deux volumes entièrement (ce qui ne m'arrive jamais d'habitude tant on a la coutume d'être en retard sur la mise) :
La déclaration des droits des garçons et la déclaration des droits des filles, par Elisabeth Brami, chez Talent haut.
Pour les garçons : « Pouvoir porter une longue tignasse et des perles dans les cheveux. Ne pas être un super héros tout les jours. Avoir le droit de pleurer, de se plaindre, d'être dorloté. D'être infirmier et de jouer à la dînette ».
Pour les filles : « Pouvoir sauter dans les flaques, grimper aux arbres et jouer aux voitures sans être traitée de garçon manqué. Être bonne en maths et mauvaise en français. Avoir les cheveux courts ».
Pour les deux : « aimez qui vous préférez : les garçons, les filles, ou les deux ». 

Evidemment, il ne se vend pas.




Arrêtez de dire à un garçon qui pleure : « ce sont les filles qui pleurnichent ! »
Arrêtez d'utiliser tapette et tafiole comme synonyme péjoratif dépréciatif de l'homosexualité.
Arrêtez d'aller vers le rose et le bleu pour des filles et pour les garçons.
Arrêtez d'acheter du Fleurus.

Merci.

2 commentaires:

  1. Si tu me piques mes coups de gueule contre livres débiles et autre donneurs de leçons "Manif' pour tous-compatibles" il me reste quoi à écrire comme article :D

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    1. Je ne me fais aucun souci concernant ta créativité va ! ;)

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